La mort inattendue d’une patiente pousse une obstétricienne à réclamer de nouvelles formations pour tous les médecins
28 octobre 2016
Bouleversée, déroutée et en colère, la Dre Amy Nakajima a passé ses notes médicales au crible pour essayer de trouver un sens au chaos effroyable qu’elle avait vécu.
Plus tôt dans la journée, une jeune mère enceinte et en bonne santé était arrivée pour un accouchement normal à l’Hôpital de la Saskatchewan où travaillait la Dre Nakajima. C’était en 2001, et elle n’avait alors que 14 mois d’expérience comme obstétricienne-gynécologue.
La Dre Nakajima avait été appelée en renfort pour aider la patiente en plein travail, car le rythme cardiaque du bébé semblait chuter. La procédure de succion s’était bien passée, le bébé était né en bonne santé, mais la patiente s’était mise à saigner un peu par la suite. La Dre Nakajima a alors réparé une déchirure détectée au vagin, mais l’hémorragie n’a pas cessé.
« On a continué à travailler sur le saignement, mais ça n’arrêtait pas », explique la docteure en se rappelant cette journée qui a changé le cours de sa carrière.
« J’ai appelé le deuxième médecin de garde pour qu’il me donne un coup de main, puis l’anesthésiste m’a dit qu’il avait également des problèmes. Il a donc appelé un deuxième anesthésiste en renfort. Ensuite, un autre problème est survenu; on avait même des difficultés à accéder aux lignes IV. Le chirurgien général est donc venu pour faire une incision. »
« Tout avait commencé par ce qui semblait être un cas assez normal, mais ensuite les choses ont vite mal tourné. On disait : « il se passe quelque chose; ça ne fonctionne pas; elle ne répond pas comme prévu ». À ce moment-là, tout le monde se débattait, je n’étais pas la seule. Toute l’équipe, tout le personnel soignant, nous étions tous en difficulté. Je me sentais… tout le monde, je crois, se sentait perdu. »
La situation s’est transformée en une espèce de confusion contrôlée où chaque spécialiste faisait ce qu’il avait à faire, et où chacun essayait par tous les moyens d’améliorer les choses, mais sans résultat. On a réussi à stabiliser suffisamment la patiente pour la transférer à l’unité de soins intensifs, où elle est morte peu de temps après. C’est à ce moment-là qu’un immense sentiment d’irréalité s’est emparé de toute l’équipe médicale, selon la docteure.
« C’était un incident horrible et traumatisant pour tout le monde, mais pour la famille avant tout bien entendu. Toute l’équipe a été profondément marquée par cet événement. Je pense qu’en entendant cette histoire on peut facilement comprendre comment je peux me sentir, mais il est impossible d’imaginer la culpabilité et la honte que cela entraîne à moins d’avoir vécu soi-même une telle expérience. »
Quand elle a expliqué au chef du personnel ce qui s’était produit, il n’arrivait pas à le croire. Aucune mère n’avait perdu la vie pendant l’accouchement depuis des décennies. La Dre Nakajima l’a informé qu’elle devait être de garde toute la fin de semaine, mais qu’il fallait qu’on la remplace pour le reste de son service, et qu’elle resterait jusqu’à l’arrivée du collègue de remplacement le lendemain matin. Elle était totalement épuisée et tellement anéantie qu’elle ne se sentait plus capable de travailler.
La Dre Nakajima a pris deux semaines de congé. Elle se disait que si l’autopsie ne révélait pas une embolie ou une autre cause de décès rare, elle mettrait fin à sa jeune carrière. Elle savait que l’équipe médicale aurait dû être en mesure de sauver la patiente autrement.
L’autopsie a finalement déterminé que la patiente avait souffert d’une embolie amniotique, une urgence obstétricale rare et habituellement fatale qui se produit lorsque le liquide amniotique pénètre dans le système sanguin de la mère et déclenche une réaction catastrophique de type allergique.
« J’ai assisté à ses funérailles. C’était étonnant. Je pense que je n’oublierai jamais ça. Il y avait plein de monde. J’étais tellement désolée pour cette famille, se rappelle la Dre Nakajima. Je suis revenue au travail deux semaines plus tard, dans cet hôpital où j’avais perdu une patiente, sans qu’on me reproche quoi que ce soit. J’ai reçu un soutien incroyable de tout le monde. Donc, avec le recul, sachant maintenant ce que d’autres victimes secondaires subissent, je me sens très chanceuse d’avoir reçu autant de soutien et de compassion. »
Cette expérience l’a marquée à bien des égards. Elle a ressenti une grande impuissance et beaucoup de frustration ce jour-là, car jamais elle n’avait été préparée à annoncer à ce jeune père que sa femme était morte et que ses enfants n’avaient plus de mère. La Dre Nakajima ajoute qu’elle ne sait pas quelle personne elle serait devenue si cela ne lui était pas arrivé. Cet accident survenu au tout début de sa carrière a orienté à bien des égards le choix de sa pratique, la façon dont elle interagit avec ses patients et ses collègues, et sa manière d’enseigner.
La docteure fournit aujourd’hui des soins au Centre de santé autochtone Wabano, au sein de l’équipe de santé familiale de Bruyère et de l’Hôpital Saint-Vincent. Elle a un intérêt particulier pour le travail auprès des patients qui traditionnellement seraient considérés comme marginaux. Dans son enseignement aux étudiants et étudiantes en troisième année de médecine à l’Université d’Ottawa, elle met l’accent sur la sécurité des patients, la communication franche et l’importance de reconnaître les préjudices. Elle favorise le recours aux simulations pour explorer et enseigner les questions de sécurité et développer les compétences en matière de divulgation. En tant que directrice par intérim de la recherche et du développement de SIM-one, un réseau de simulation de soins de santé sans but lucratif, elle développera des programmes axés sur les moyens d’utiliser la simulation pour améliorer la sécurité des patients.
« C’est tellement difficile d’avoir ce genre de discussion avec une famille, de dire : “je suis vraiment désolée, on n’a pas pu sauver votre mère”, confie-t-elle. Certaines personnes font un parallèle avec l’enseignement de la communication des mauvaises nouvelles dans le programme de formation médicale de premier cycle, mais je pense que c’est fondamentalement différent. Quand il s’agit d’une mauvaise nouvelle, on peut dire : “je suis vraiment désolée, les tests que nous avons faits il y a quelques semaines montrent que vous avez un cancer du col de l’utérus.” C’est une terrible nouvelle que je me sentirais très mal de communiquer parce que je sais ce qui attend cette personne. Mais c’est une tout autre chose que de communiquer une erreur ou un problème imprévu en disant : “je suis vraiment désolée, vous avez le cancer du sein, mais nous avons enlevé le mauvais sein.” »
« C’est une conversation très différente parce qu’il faut assumer sa participation au tort causé à la personne par les soins qu’on lui a donnés, conclut la docteure. Je pense que ces compétences doivent être enseignées à tous les cycles universitaires ainsi qu’au postdoctorat. Et il faut voir comment on pourrait offrir un tel programme de la manière la plus efficace et la plus percutante possibles afin d’aider nos étudiants et étudiantes à réfléchir aux façons d’optimiser la sécurité et de mieux les préparer aux événements malheureux qui peuvent arriver. »