Une femme rend hommage à son père par le biais de sa carrière d’enseignante en soins infirmiers

29 octobre, 2012

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Judy Boychuk Duchscher, l’archétype de la bonne infirmière, était au chevet de son père mourant lorsqu’elle a fait une promesse à sa famille : « Je ne mettrai plus jamais les pieds dans un hôpital ». Elle avait alors vu son père subir inutilement un nombre incalculable d’indignités dans les jours précédents. 

Judy n’a pas tenu sa promesse. Elle n’a pas abandonné les soins infirmiers. Elle s’est plutôt jetée corps et âme dans un doctorat et dans la cause des soins axés sur les patientes et les patients et de leur sécurité, avec la promesse d’honorer la mémoire de son père et de celle des autres comme lui. 

Elle a entamé une réflexion de plusieurs années sur les problèmes sous-jacents qui avaient permis les graves erreurs, les guerres d’egos et les soins sans empathie que son père avait dû endurer. Au cours de cette période, elle s’est peu à peu libérée de sa culpabilité, de son sentiment d’avoir échoué dans son soutien pour son père. 

Victor Boychuk, le père de Judy, avait fait carrière dans l’enseignement. Il avait enseigné la chimie et la physique au secondaire durant des années et il était devenu directeur d’école avant de prendre sa retraite. Victor était quelqu’un de sympathique et d’attachant, avec un remarquable sens de l’humour. 

Victor et son épouse passaient leurs hivers en Arizona. Au cours d’une des visites annuelles de Judy, à l’hiver 1997, est survenu un événement qui a changé le cours de leurs vies à jamais. Ce voyage a été la première fois où Judy a ressenti un véritable sentiment de vulnérabilité et l’impression d’être prisonnière du système de santé; un sentiment qui allait devenir trop familier. 

Victor avait une toux persistante qu’il a prise pour un rhume ordinaire, et pour laquelle son médecin de famille lui avait prescrit des antibiotiques. Avec son œil clinique aiguisé, Judy n’a pas vu cette toux comme un simple rhume, mais plutôt comme un signe inquiétant d’une insuffisance cardiaque. Elle a vérifié son pouls de son père et a remarqué que son rythme cardiaque était irrégulier. Elle a amené son père chez un cardiologue à Phoenix qui lui a prescrit du Digoxin pour régulariser son rythme cardiaque. Mais Judy avait alors constaté avec surprise qu’on n’avait pas prescrit d’anticoagulant à son père pour prévenir la formation de caillots dans son cœur. 

Après la visite chez le cardiologue, Judy s’est de plus en plus inquiétée du fait que son père n’avait pas reçu de prescription d’anticoagulant. Elle a téléphoné au cardiologue, qui ne s’est pas inquiété de la situation puisque les Boychuk rentraient au Canada quelques jours plus tard, et que le médecin de famille de Victor pourrait reprendre le dossier. 

« Une semaine après son retour à la maison, mon père a eu un grave accident vasculaire cérébral, raconte Judy. Avec le temps, son père est devenu l’ombre de l’homme qu’il avait été. » Judy s’est sentie coupable pendant des années, se disant que si elle avait insisté davantage pour que le cardiologue prescrive les bons médicaments, l’AVC de Victor aurait peut-être pu être évité. La famille s’est resserrée autour de Victor, et Judy affirme qu’il y a eu de nombreux moments d’amour, de rires et d’intimité en famille. 

Cependant, environ huit ans après l’accident vasculaire cérébral, Victor a commencé à avoir des saignements. Il s’est rendu à l’hôpital où on lui a fait subir une coloscopie. Cet examen a révélé des nodules suspects, qui se sont avérés cancéreux. Victor et sa famille ont dû prendre une décision. Il avait perdu beaucoup de poids depuis son AVC, il pesait à peine plus de 100 livres. « Honnêtement, je crois qu’il survivait en mangeant des bonbons au caramel Werther’s et en fumant des cigarettes, dit Judy en riant à ce souvenir. Il n’était pas un bon candidat pour subir une intervention chirurgicale majeure. » 

Mais après avoir pesé le pour et le contre, son père a choisi de subir l’intervention chirurgicale majeure qui consistait à lui retirer une section de l’intestin, le segment où se situait la tumeur. Judy a travaillé de concert avec l’équipe de nutrition de l’hôpital afin qu’il y soit préparé. Il a subi l’opération et, comme Judy le craignait, son père s’en est difficilement remis. Peu de temps après l’intervention, la santé de Victor a commencé à se détériorer. 

« Le défi, dans son cas, était que mon père était très affaibli sur le plan nutritionnel. »  

Elle explique que dans les cas comme celui de son père, la guérison repose sur une bonne alimentation. Sans quoi, l’infection s’installe et elle brûle toutes les ressources déjà faibles de l’organisme. 

Judy a rencontré la nutritionniste de l’hôpital à plusieurs reprises; elles ont discuté de la possibilité pour Victor d’être nourri par voie intraveineuse. Judy savait que l’administration de fluides par voie intraveineuse comporte ses propres risques, mais l’organisme de Victor, qui se remettait d’une opération, avait grand besoin de se refaire des forces. 

Après plusieurs tentatives infructueuses de la nutritionniste de collaborer avec le chirurgien, Judy a demandé une réunion en personne pour discuter de la détérioration de l’état de santé de son père. « Je pense que c’est l’étincelle qui a mis le feu, bien honnêtement », raconte Judy. Elle ajoute que le médecin était insulté par son initiative. « Il était fâché que nous proposions des soins qu’il était clairement en mesure de proposer lui-même. » 

Dans les jours suivants, l’état de Victor a continué à se détériorer. Il a commencé à faire de la fièvre et il était pris de puissants vomissements. Les choses sont allées de mal en pis. Victor était censé se lever et marcher chaque jour, dans un but thérapeutique. Son hésitation à « se lever et bouger » a été interprétée par l’équipe soignante comme de la non-coopération. Judy explique qu’il était tout simplement trop épuisé. Un jour, en arrivant, elle avait trouvé Victor en train de marcher avec quelqu’un, alors qu’il était manifestement à bout de souffle et terriblement pâle. On l’encourageait à pousser encore un peu plus, alors qu’il cherchait son souffle. 

Judy l’a examiné, et bien sûr, son rythme cardiaque était irrégulier et son taux d’oxygène était dangereusement bas. Son cœur avait souffert durant cette activité physique, et peu de temps après, Victor a dû être transféré au service des soins coronariens. Judy est entrée à l’unité de soins intensifs et elle y a trouvé son père en détresse. Grâce à ses compétences d’infirmière, elle avait relevé des signes évidents de lésions cardiaques. Judy a porté ces signes à l’attention du personnel et, grâce à ses encouragements, des mesures ont été prises pour diagnostiquer que Victor était en fait victime d’une crise cardiaque. 

Le corps sous-alimenté de Victor a continué à combattre l’infection grâce aux antibiotiques, mais ses reins se détérioraient. L’œil vigilant et la voix insistante de Judy ont attiré l’attention sur l’évolution de l’état de Victor; mais pour Judy, c’était trop peu, trop tard. Avec l’aide d’un médecin bienveillant qui était de garde, elle a discuté de la réalité qui se dessinait. 

Rien n’allait changer : les médicaments que les médecins avaient prescrits ne fonctionnaient pas. Victor a sombré dans le coma, et les 48 heures suivantes ont ressemblé à un compte à rebours vers l’inévitable. L’espace d’un instant, Judy a connu l’apaisement. Alors qu’elle était assise avec sa mère au chevet de Victor, celui-ci a soudainement éclaté de rire. Son visage s’est illuminé. Il était animé et parlait clairement à des personnes que ni Judy ni sa mère ne pouvaient voir. 

Judy et sa mère étaient fascinées par ce qu’elles venaient de voir. C’était comme si Victor leur disait qu’il était prêt à partir, et cela les a aidées à décider qu’il était temps d’arrêter tout soutien. Judy a appelé le médecin pour lui faire part de leur décision. 

« Je ne ferai pas cela, a répondu le médecin. Nous ne lui avons pas accordé suffisamment de temps. » Judy était dévastée. Cette décision qu’elle avait prise avec sa mère était dévastatrice, mais elle était remplie d’amour et respectueuse de la dignité de Victor. Pour elles, il s’agissait de sa qualité de vie comme de l’intégrité de sa mort. Judy a appelé l’administrateur de l’hôpital. L’ordonnance a été signée, et Victor est décédé à l’unité de soins palliatifs deux jours plus tard. 

Judy est rentrée à Edmonton terminer son année scolaire. Elle passait ses journées à travailler et à étudier, et ses soirées à faire son deuil. Judy ne pleurait pas seulement la perte de son père, mais aussi par la perte de son respect et de sa foi envers un système de santé auquel elle avait consacré sa vie. De plus en plus amère, elle s’était alors juré de ne plus jamais mettre les pieds dans un hôpital. 

« Je ne pensais tout simplement pas pouvoir affronter l’institution qui nous avait tant déçus, mon père et moi. Mais je n’ai pas tardé à comprendre que c’était une mascarade, ajoute Judy en souriant. J’ai vite réalisé que cela n’honorerait pas la mémoire de mon père. J’ai eu besoin de raconter son histoire et j’ai eu besoin d’arriver à changer des choses dans le système afin que cela n’arrive pas à d’autres. » Judy s’est consacrée à l’enseignement aux futures infirmières. Elle a lancé un organisme nommé Nursing the Future, où les nouvelles infirmières peuvent obtenir du soutien et des conseils sur la façon de devenir les infirmières qu’elles souhaitent devenir. 

Elle parle de sécurité des patientes et des patients et partage son expérience de 33 ans en soins infirmiers en soutenant l’Institut canadien pour la sécurité des patients (maintenant Excellence en santé Canada). « L’idée des soins axés sur les patientes et patients ne peut pas être uniquement un concept, dit Judy. Cela ne peut pas être qu’une idée marketing. Cela doit devenir réel. Les malades et leurs familles ont besoin d’être le centre de tout ce que nous faisons. Ils doivent être impliqués. » 

Si elle a un autre message, c’est que les soins de santé, à la base, ne sont pas une question de science et de technologie. « Nous devons faire notre travail avec compassion », dit-elle. 

L’histoire qu’a vécue Judy en se portant à la défense de son père démontre encore une fois qu’il est important que les familles soient impliquées dans les soins de santé.

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