Un homme milite pour de meilleurs soins de première ligne après le décès de son épouse
31 octobre 2013
Chris Cox n’a jamais senti l’ongle de son orteil se détacher. Ce n’est qu’en retirant ses sandales, des heures plus tard, qu’elle a remarqué qu’il s’était détaché. À ce moment, elle et son mari Peter ont compris que quelque chose n’allait pas.
Cet incident n’est qu’une des étapes dans les décennies de fréquentation du système de santé qui ont convaincu Peter Cox que le système devait changer.
« L’histoire de Chris est beaucoup plus courante qu’on ne veut l’admettre, raconte Peter. C’est l’histoire d’un manque d’intervention en temps opportun, cela a entraîné beaucoup de souffrances sur le plan personnel, mais aussi des coûts élevés pour le système de santé, coûts qui auraient pu être évités avec de bons soins de première ligne. »
Il s’inquiète aussi du fait que les médecins et le personnel infirmier canadiens travaillent dans des conditions de stress et d’épuisement professionnel, et qu’ils sont nombreux à choisir de quitter la profession.
Son message à leur intention?
« Il faut croire que le système peut être changé. De l’intérieur comme de l’extérieur. Il faut continuer de se battre, car sans cela, nous ne pourrons pas améliorer la situation. Il ne suffit pas d’accepter la situation telle qu’elle est et d’essayer de s’en accommoder. »
Ancien vice-président aux finances et ancien dirigeant d’entreprise, monsieur Cox en a vu des organisations inefficaces patauger pendant de longues périodes. Il lui est aussi arrivé d’aider certaines d’entre elles à s’attaquer aux causes profondes de leurs déboires et à devenir des organisations efficaces qui soutiennent leur première ligne. C’est pour cette raison qu’il s’est joint à Patients pour la sécurité des patients Canada.
Patients pour la sécurité des patients du Canada est un programme d’Excellence en Santé Canada géré par les patientes et les patients eux-mêmes. Patients pour la sécurité des patients du Canada s’efforce de faire en sorte que les organismes et les systèmes de soins de santé tiennent compte du point de vue des patients, des patientes et des familles lorsqu’ils prennent des décisions et planifient des initiatives d’amélioration de la sécurité et de la qualité.
« Chaque organisation fait face à une série de problèmes complexes. Je pourrais me tenir à l’écart, regarder les choses de haut et me dire : “Ces gens ne savent pas ce qu’ils font, regardez ce qui est arrivé à Chris.” Il est beaucoup plus difficile de comprendre ce qui est réellement arrivé et ce qui a provoqué ces dérapages », résume Peter Cox.
Ce qui est arrivé à sa femme, Chris, a commencé au milieu des années 1980, par une intervention chirurgicale visant à retirer un kyste sur sa glande thyroïde. On lui avait alors administré des médicaments qu’elle devrait ensuite prendre tous les jours pour le reste de sa vie. Six mois plus tard, son médecin lui avait demandé de se soumettre à une analyse sanguine. Elle avait alors refusé, disant qu’elle se sentait bien.
Lorsqu’elle a perdu son ongle d’orteil en 1997, les médecins ont découvert qu’elle souffrait d’hyperthyroïdie, alors qu’elle prenait des médicaments pour l’hypothyroïdie. Elle avait également développé un diabète et une neuropathie diabétique. Les nerfs de ses jambes et de ses pieds étaient morts, ce qui expliquait pourquoi elle n’avait pas senti son ongle se détacher.
C’est à ce moment que les Cox ont appris que les personnes aux prises avec des problèmes thyroïdiens doivent faire une analyse sanguine tous les six mois. Son médecin ne lui avait pas expliqué le risque qu’elle courait à ne pas faire ces tests.
Encore ici, madame Cox a écouté son médecin et consciencieusement pris son nouveau médicament. Mais en 1999, son pied était légèrement enflé et elle ressentait un picotement. Comme son médecin de famille n’exerçait plus, elle a alors consulté un endocrinologue qui a vu ces nouveaux symptômes comme un effet secondaire de sa neuropathie diabétique, et refusé la demande de Chris de passer une radiographie du pied. Peu après, Chris a développé des ulcères diabétiques; elle s’est présentée à l’urgence et a été traitée avec des antibiotiques. Toujours pas de radiographie. Les ulcères sont réapparus, et ont été traités avec une nouvelle prescription d’antibiotiques.
Une infirmière d’une clinique pour diabétiques a recommandé à madame Cox de se présenter à l’urgence d’un hôpital universitaire du voisinage. Son pied a finalement été radiographié. Un spécialiste des maladies infectieuses a diagnostiqué un pied de Charcot, une maladie dégénérative des os qui peut mener à l’amputation.
N’ayant pas été informée du risque, madame Cox avait aggravé son état en marchant sur son pied, insensible à la douleur que n’importe qui d’autre aurait ressentie. Dix-huit mois plus tard, son orteil a été amputé à la suite d’une infection. Puis, en 2008, c’est son pied qui a dû être amputé.
Chris s’est adaptée à son amputation et est restée active et optimiste jusqu’au milieu de 2011, lorsqu’elle est devenue confuse. Elle n’arrivait plus à se souvenir où était la salle de bains dans sa propre maison. Elle s’est ensuite mise à avoir des hallucinations. Le médecin généraliste a indiqué qu’il s’agissait soit de la maladie d’Alzheimer, soit d’un mini-AVC, soit d’une infection urinaire. On l’a alors aiguillée vers un neurologue.
« Son endocrinologue, son néphrologue et le médecin de la clinique sans rendez-vous ont tous eu la même réaction, se souvient Peter Cox. Pourtant, j’ai découvert que 80 % des femmes de l’âge de Chris qui développent soudainement des symptômes de démence souffrent en fait d’une infection urinaire. »
Elle a été hospitalisée, traitée avec des antibiotiques et s’est rétablie. Elle est rentrée à la maison. Mais quelques jours plus tard, elle a souffert de graves douleurs abdominales, elle a perdu sa coordination motrice et elle est tombée. Retour à l’urgence. Encore des tests. Un examen de résonance magnétique a montré qu’elle avait subi un mini-AVC. On l’a hospitalisée. Elle est décédée dix jours plus tard, dans la semaine de son 75e anniversaire de naissance.
C’est un parent européen de Peter qui lui a appris que les gens de l’âge de Chris qui souffrent de maladies chroniques comme le diabète sont plus susceptibles de développer une infection urinaire, puis une septicémie. Chris avait consulté huit médecins différents. Aucun d’entre eux n’avait envisagé la septicémie ni demandé de test en ce sens.
Monsieur Cox a rencontré le néphrologue de son épouse, qui a examiné le dossier. Oui, Chris avait probablement succombé à une septicémie. Son analyse des urines présentait des anomalies; sa pression artérielle avait baissé d’environ 20 %. Il a parlé avec Peter pendant plus d’une heure, lui a expliqué le fonctionnement du système, pourquoi ce cas était probablement passé dans les mailles du filet, et a admis qu’il aurait pu faire plus.
« Il m’a dit avoir tiré des leçons de cette histoire, ce qui était encore mieux que des excuses », se souvient monsieur Cox.
Voici quelques changements que Peter souhaiterait voir :
- Impliquer le patient ou la patiente dans ses soins. Il faut aider les patients et les patientes à comprendre leur maladie et la manière de la gérer. Il faut le faire une étape à la fois. Expliquer les bases. Chris n’a pas été correctement informée de l’importance des analyses sanguines tous les six mois après son opération à la thyroïde, de l’importance de ne pas se tenir sur son pied de Charcot, ni de la relation entre sa maladie chronique, les infections urinaires et la septicémie.
- Les personnes atteintes de maladies chroniques ont besoin d’un médecin de soins primaires. Une fois qu’on leur a diagnostiqué un ensemble de maladies chroniques, les patients et les patientes ont besoin de prestataires de soins primaires qui disposent des connaissances nécessaires pour leur éviter les revers que Chris a connus – ses hospitalisations pour son pied de Charcot, l’amputation de son orteil, peut-être même son infection urinaire.
- Il faut des protocoles pour déceler les erreurs et apprendre de celles-ci. Peter a demandé au chirurgien orthopédique de Chris d’appeler les médecins qui n’avaient pas vu le pied de Charcot. Non pas pour les critiquer, mais pour qu’ils soient mieux informés à l’avenir. Le chirurgien lui a cependant répondu qu’un tel appel serait jugé inacceptable sur le plan professionnel et vu comme une critique de la part d’un autre médecin.
« Lorsqu’une erreur est commise, il devrait y avoir un protocole en place dans le système de santé pour s’assurer que des leçons sont tirées de cette erreur, et qu’elle ne se répète pas », estime monsieur Cox.
« Tous les médecins, aussi brillants soient-ils, font des erreurs, poursuit-il. Dans le monde des affaires, les gens veulent qu’on relève leurs erreurs, pour pouvoir s’améliorer. Nous devrions pouvoir le faire aussi dans le milieu médical. »
Les défis auxquels Peter Cox a été confronté soulignent l’importance du message « QUESTIONNEZ. ÉCOUTEZ. PARLEZ-EN ». « De bons soins de santé commencent par une bonne communication. »