Garder le point de vue du patient à l’esprit lors de la prestation de soins
1er novembre 2013
Comment Ambrose Wald, âgé de 80 ans, a-t-il bien pu tomber d’un fauteuil d’hôpital spécialement conçu pour empêcher les chutes?
C’est une question à laquelle sa fille Irene Wald, une infirmière comptant près de 35 ans de métier, n’a jamais reçu la moindre réponse.
« Il y a quelque chose qui cloche dans la manière dont cette chute s’est produite, affirme Mme Wald. Il n’y a jamais eu de véritable enquête sur ce qui est arrivé à mon père.
Ce que je veux, c’est que nous tirions des leçons de cet incident, pour que ceux qui travaillent dans le domaine de la santé puissent empêcher que cela arrive à d’autres. »
Ambrose Wald a survécu à la Deuxième Guerre mondiale, a émigré de l’Europe vers le Canada en 1952 et a travaillé comme soudeur chez IPSCO.
C’était un homme accessible. Il aimait rire et partager ses blagues préférées du Reader’s Digest avec sa famille. Il est décédé cinq jours après sa chute.
La perte de son père a été durement ressentie par Irene Wald. Le fait de n’avoir aucune réponse sur le pourquoi ni le comment de sa chute du fauteuil – et l’impression qu’à l’hôpital, personne ne s’en souciait assez pour mener une enquête – a contribué à alourdir son chagrin.
Elle raconte que la fête des Pères 2008 a été un moment fort pour la famille Wald. Ils ont partagé un festin composé de steak sur le barbecue, de maïs en épis, de vin et de tarte au citron. Ils ont même joué aux cartes sans les plaisanteries et les taquineries habituelles.
Cette nuit-là, Ambrose Wald s’est réveillé aux prises avec des douleurs abdominales. Sa fille l’a amené d’urgence à l’hôpital à 8 h. Il a été examiné à 9 h et on lui a diagnostiqué une occlusion intestinale.
La famille a attendu le chirurgien pendant toute la journée. Elle a plus tard appris que l’horaire du chirurgien de garde était occupé par des chirurgies électives et qu’il n’était pas disponible pour les urgences.
À 18 h, monsieur Wald est entré en choc septique. Il a immédiatement été transporté à l’urgence, où l’on a retiré une partie de son intestin.
« Il souffrait d’un intestin ischémique, ce qui signifie que son intestin était en train de mourir, raconte Irene Wald. Quand il n’y a plus de circulation sanguine, l’intestin commence à mourir et quand il meurt, l’infection et la septicémie se répandent dans toute la cavité abdominale, puis dans tout le corps. » Monsieur Wald a survécu à l’opération et est resté trois semaines à l’hôpital. En tant qu’infirmière, madame Wald était au courant du danger que représentent les chutes et elle avait demandé aux infirmières de ne pas sortir son père du lit à moins qu’elle ne soit là pour l’accompagner. Irene Wald et sa mère lui rendaient chaque jour visite.
Un jour, à leur arrivée, on leur a annoncé qu’Ambrose Wald était tombé, mais qu’il n’avait pas subi de blessures. Personne ne semblait connaître la cause de cette chute.
Le personnel l’a assis dans un fauteuil Broda, conçu pour le soutien et la contention, et l’a laissé sans surveillance. Un passant l’a retrouvé par terre, la chaise renversée par-dessus lui.
Plus tard, Ambrose Ward s’est plaint de douleurs à la poitrine à son épouse et à sa fille.
« Le médecin est venu. Il voulait réaliser une tomodensitométrie de son thorax. Mais à partir de ce moment-là, mon père a essentiellement refusé toute intervention. Il s’est simplement résigné à ce que rien ne s’améliore. Il est mort cinq jours plus tard. »
Monsieur Ward n’aimait pas les hôpitaux. À 70 ans, on lui a soigné un anévrisme aortique. L’anévrisme avait provoqué l’atrophie d’un rein. Le chirurgien a touché ses intestins par inadvertance et a annulé l’opération. Il y a eu des complications lors de la deuxième opération. Il s’est retrouvé avec une jambe ischémique, la gangrène s’est installée et on a dû procéder à une amputation partielle.
Un an après la mort de son père, Irene Ward a demandé le rapport d’incident relatif à la chute. « Il ne contenait aucune information. Il n’y a eu aucune enquête pour déterminer comment un fauteuil Broda avait pu se renverser ni comment un patient avait pu en tomber. La gestionnaire n’a même pas interrogé le personnel responsable ce jour-là, puisqu’il n’y avait aucun commentaire : le rapport se limitait à cocher des cases. »
« La gestionnaire a coché la case “problème résolu” en bas du formulaire. On n’a jamais su s’il s’agissait d’une défaillance de l’équipement ou d’autre chose. En fait, on n’a rien appris du tout », déplore madame Ward.
En discutant avec l’équipe de gestion des risques de l’hôpital, Irene Ward a appris qu’on remplissait les rapports d’incident sans réaliser la moindre évaluation.
« Ça m’a vraiment déçue, se souvient-elle. Bien que le personnel ait rempli un rapport d’incident, personne n’avait vraiment envie d’y donner suite. On n’a rien appris. On ne précisait même pas que mon père était mort cinq jours après cette chute. Ça m’a donné l’impression que personne ne s’en souciait ou ne s’y intéressait vraiment. »
Madame Ward croit que si les gens qui remplissent ces rapports d’incident n’ont pas la formation nécessaire pour le faire, ou qu’ils n’en voient pas l’intérêt – ou encore si les gestionnaires ne voient pas l’utilité de ces rapports –, on fait clairement face à un échec du système.
« Il y a de toute évidence d’énormes failles dans la manière dont les rapports d’incident sont traités. Je crois que les gens en gestion du risque reconnaissent l’existence de ces failles. Mais cela n’apporte aucune résolution du problème. Ce qui m’a donné un peu de paix d’esprit, c’est d’avoir été invitée à participer à certains des processus destinés à modifier la manière dont on rapporte certains incidents. »
Elle a retrouvé un peu de sérénité lorsque le directeur des urgences a reconnu qu’un patient présentant les mêmes symptômes que son père n’attendrait plus aussi longtemps avant d’être opéré.
Irene Ward, qui approche maintenant de l’âge de la retraite, entend s’engager plus activement auprès de Patients pour la sécurité des patients du Canada. Ce programme axé sur les patients d’Excellence en santé Canada privilégie la perspective du patient et ajoute un point de vue que seuls le patient et sa famille peuvent apporter.
« Je suis déjà active auprès de diverses personnes et j’ai plusieurs projets en marche. J’ai donc bon espoir que la culture est en train de changer en matière de soins de santé », dit-elle.
« Plus je parle de l’incident de mon père à différentes personnes de ma région, mieux je vois vers quoi je m’oriente et comment je peux m’engager pour éviter qu’on porte préjudice aux patients. »
Le message d’Irene Ward aux professionnels de la santé :
« Lorsque vous vous occupez de patients, adoptez leur point de vue. Il pourrait s’agir de votre mère ou de votre père. Lorsque je m’occupe d’un patient, c’est ma mère qui est étendue là, ou mon père, ou encore mon enfant. Cela donne un point de vue complètement différent sur les soins, sur la manière dont vous vous occupez des gens. »