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Étude de cas : Foyer de soins sans mur, Nouveau-Brunswick

Contexte : Modèle et cadre du vieillir chez soi

Le programme Foyer de soins sans mur (FSSM) a été créé par Suzanne Dupuis-Blanchard, Ph. D., détentrice de la Chaire de recherche en santé sur le vieillissement des populations, directrice du Centre d’études du vieillissement et professeure titulaire à l’École de science infirmière de l’Université de Moncton. En 2019, le programme FSSM a été lancé à titre de projet pilote dans quatre foyers de soins situés à Port Elgin, Lamèque, Paquetville et Inkerman, des communautés rurales du Nouveau-Brunswick.

Ce programme vise à donner aux collectivités les moyens d’améliorer l’accès aux soins de santé et aux services sociaux pour les personnes aînées vivant à domicile et leurs personnes proches aidantes. Depuis, il a été élargi dans le cadre du plan provincial de la santé. Plus récemment, 14 autres foyers de soins de la province se sont joints au programme, grâce à un partenariat avec Excellence en santé Canada et le programme FSSM novateur du Centre d’études du vieillissement de l’Université de Moncton.

Le programme FSSM vise à améliorer la qualité de vie des personnes aînées vivant à domicile et de leurs aidantes ou aidants en offrant des initiatives de soutien élaborées en collaboration avec les communautés et les organismes locaux. Les foyers de soins participants font office de pôles du vieillir chez soi. Ils tirent parti des réseaux communautaires, s’appuient sur des connaissances fiables en matière de vieillissement digne et mobilisent une expertise qualifiée pour répondre aux besoins des personnes aînées en matière de soins de santé et de services sociaux. Ces foyers fournissent également un espace physique, une infrastructure et une supervision administrative pour appuyer le fonctionnement et les activités du programme.

Le programme FSSM renforce l’accès aux services, à l’information et aux ressources en lien avec le vieillir chez soi. Il permet de lutter contre l’isolement social grâce à des initiatives de santé pour les personnes aînées et leurs aidantes ou aidants, tout en améliorant la visibilité et l’accessibilité des services pertinents. Pour ce faire, il s’appuie sur une solide collaboration avec les organismes communautaires locaux, les membres de la collectivité et les prestataires de soins de santé et de services sociaux. Voici quelques exemples d’initiatives du programme FSSM :

  • Appels de suivi et visites sociales
  • Activités intergénérationnelles qui rapprochent les jeunes et les personnes aînées
  • Aide à l’orientation pour faciliter l’accès aux programmes, ressources et services offerts
  • Transport vers les rendez-vous médicaux et autres sorties sociales avec le minibus du foyer
  • Accès aux salles de bains et à d’autres équipements spécialisés du foyer

Le programme FSSM est né du profond souhait de Suzanne Dupuis-Blanchard d’améliorer la vie des personnes aînées dans la communauté. Forte de son expérience d’infirmière en santé communautaire et de son expertise de chercheuse en vieillissement des populations, Suzanne Dupuis-Blanchard a adopté une approche d’accompagnement facilitateur pour lancer, mettre en œuvre, généraliser et étendre le programme FSSM. Cette démarche a été rendue possible par des partenariats avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick et Excellence en santé Canada.

Lors de la création et de l’élaboration de ce programme, Suzanne Dupuis-Blanchard s’est appuyée sur sa connaissance approfondie des soins aux personnes aînées en milieu communautaire, acquise au cours de ses années d’expérience en tant qu’infirmière en santé communautaire. Parallèlement, son parcours dans la recherche sur le vieillissement des populations lui a permis d’explorer les pratiques exemplaires fondées sur des données probantes du vieillir chez soi, ainsi que les politiques appropriées à l’échelle du système. Elle a mobilisé des parties prenantes clés, dont l’Association des foyers de soins du Nouveau-Brunswick, l’Association francophone des aînées et aînés du Nouveau-Brunswick et la Fédération des citoyen(ne)s aîné(e)s du Nouveau-Brunswick, pour discuter d’une question cruciale : les foyers de soins ont-ils un rôle à jouer dans le vieillissement à domicile? Le « OUI » retentissant qui a émergé des discussions a déclenché une cascade de mobilisation communautaire. Avant même que Suzanne Dupuis-Blanchard ne commence à définir le concept du programme, un foyer de soins local l’avait déjà contactée avec le même objectif en tête. 

Installé dans la communauté et issu de la communauté, il allait devenir le centre de la mobilisation communautaire pour les personnes aînées à domicile. La petite idée plantée par Suzanne Dupuis-Blanchard s’est enracinée dans la communauté et s’y est propagée.

Approche de mobilisation communautaire

Nouer des liens

En premier lieu, Suzanne Dupuis-Blanchard et les foyers de soins sans mur se sont appuyés sur les réseaux informels pour nouer des liens avec les communautés visées. Ces premières initiatives étaient ancrées dans le développement de relations avec, pour commencer, d’anciennes et d’anciens collègues ou des organismes à but non lucratif, et le bouche-à-oreille. Ces relations informelles ont jeté les bases d’une mobilisation et d’une collaboration communautaires plus profondes.

De la consultation à la cocréation

L’application du principe de la cocréation, plutôt que de la consultation, a stimulé l’engouement populaire et a encouragé divers partenaires et organismes communautaires à rejoindre progressivement le programme FSSM. Cette approche a élargi la participation des personnes qui prodiguent des soins aux personnes aînées ou qui s’y intéressent.

Le programme FSSM a privilégié la diversité des voix en organisant une consultation de lancement : une invitation inclusive et accessible qui a attiré toutes les parties prenantes des soins aux personnes aînées (y compris les personnes aînées elles-mêmes), ainsi que les personnes intéressées par le concept du vieillissement à domicile. Le foyer de soins local a diffusé une invitation ouverte à l’événement dans des espaces fréquentés par les personnes aînées et leurs réseaux, comme les épiceries, les pharmacies et d’autres lieux de rassemblement locaux. L’invitation s’est aussi propagée par bouche-à-oreille, ainsi que grâce à des dépliants dans les feuillets paroissiaux, sur Facebook et dans les organismes locaux.

Lors de l’événement, les tables rondes se sont démarquées par l’ouverture et l’échange d’idées, chacune et chacun reconnaissant et respectant le fait que les membres d’une communauté la connaissent mieux que quiconque et que les foyers de soins détiennent une expertise particulière qui les rend extrêmement précieux. Les parties prenantes – des organismes locaux aux associations, en passant par les organismes à but non lucratif – se sont mêlées aux personnes aînées, à leurs familles et à leurs petits-enfants. La discussion a tourné autour de trois questions :

  1. De quels services ou soutiens avons-nous besoin pour rester à domicile?
  2. En quoi un foyer de soins pourrait-il contribuer à répondre à ces besoins?
  3. Dans la communauté, qui pourrait se joindre au foyer de soins pour favoriser le vieillir chez soi?

Ces questions ont fait l’objet de discussions en petits groupes, qui ont ensuite été invités à faire part de leurs conclusions en plénière. Ces discussions, qui ont duré quelques heures, ont combiné une définition rapide des priorités et une évaluation des besoins. Les points saillants sont les suivants :

  • Le groupe a discuté des besoins des personnes aînées ainsi que de la cartographie des actifs de la communauté. Cette discussion a favorisé la mobilisation par l’établissement d’un lien de confiance et l’échange de connaissances.
  • Le programme FSSM a su se positionner comme une initiative complémentaire – et non pas concurrente – aux services offerts par les organismes locaux, les organismes sans but lucratif et les professionnelles et professionnels de la santé de la communauté.
  • Les groupes ont découvert et recensé les ressources inexploitées de leur localité. La mobilisation était une priorité compte tenu de la présence physique des personnes participantes, qui a facilité l’établissement de relations en face-à-face.
  • Différents points de vue ont été entendus, et l’atmosphère inclusive a permis à chaque personne de se sentir à l’aise d’évoquer son vécu expérientiel.
  • Tout au long de l’événement, des relations itératives se sont nouées, ce qui a favorisé une mobilisation durable au fur et à mesure de la mise en œuvre du programme.

La consultation de lancement était ancrée dans l’action et a établi une communication bidirectionnelle, ce qui a jeté les bases de la cocréation et instillé un sentiment d’appropriation au sein de la communauté. Un rapport axé sur ces méthodes de cocréation a rapidement suivi le lancement du projet. La rapidité avec laquelle il a été diffusé a renforcé la confiance au sein de la communauté et envers le programme.

Il était essentiel de documenter les discussions de la réunion et de prendre des mesures concrètes visant à nouer d’autres liens pour faire écho aux voix entendues et les amplifier. Le rapport faisait état des principaux points à retenir des discussions et a donné à la communauté un engagement à l’action. Une communication opportune et transparente, doublée d’un passage à l’action, a joué un rôle majeur dans le développement de la confiance et des liens, ce qui a permis au programme FSSM d’aller de l’avant tout en maintenant la communauté engagée.

Souplesse et adaptabilité

L’approche flexible et adaptable adoptée par le programme FSSM pour échanger avec la communauté était une stratégie de terrain ancrée dans un engagement envers la cocréation. En reconnaissant les forces de la communauté et en confiant les rênes à ses membres, le programme a su prendre de l’élan et gagner en souplesse et en dynamisme. Il a incité à l’action à chaque étape, pour qu’aucune idée ou ressource ne soit négligée ou ne reste inexploitée.

La communication transparente et opportune était au cœur de l’engagement du programme FSSM auprès des différents partenaires impliqués dans les soins aux personnes aînées, aussi bien les personnes ayant participé à la consultation de lancement que les nouveaux partenaires. Les profils diversifiés des parties prenantes – organismes à but non lucratif, bénévoles, petits-enfants, etc. – ont permis de recueillir un large éventail de points de vue. Pendant les phases de lancement et de mise en œuvre, il a été crucial de faire des mises à jour régulières sur le financement, les nouveaux partenariats et l’avancement du programme. Cette communication permanente a permis aux membres de la communauté de connaître les ressources à leur disposition et de s’engager activement dans la prise de décision en temps réel. L’engagement en faveur de la communication a permis d’instaurer un climat de confiance au sein de la communauté et a contribué à la pérennité et à l’élan du programme.

La mobilisation a favorisé les relations entre les communautés locales, qui ont ainsi pu comprendre leur capacité à contribuer grâce à l’échange d’information et aux liens établis. Plutôt que de prescrire des possibilités de participation, le programme FSSM a incité les groupes à s’appuyer sur leurs relations locales existantes, créant ainsi un cercle d’échange complet. Les réseaux relationnels ont été nommés et renforcés, ce qui a permis de recenser les atouts de la communauté et de donner des moyens d’action aux personnes qui avaient besoin d’aide.

Les tactiques utilisées ont consisté à encourager les établissements à tenir leurs propres réunions et ordres du jour, à organiser des événements communautaires (tels que l’installation de tables d’information dans les épiceries pour faire connaître le programme) et à faire des présentations dans les clubs de personnes aînées et lors des réunions du conseil municipal. L’objectif était double : permettre aux foyers de soins locaux, en collaboration avec les membres et les organismes de la communauté, de s’approprier le programme tout en le promouvant auprès d’autres collectivités. Cette approche réciproque et collaborative a permis de renforcer les relations locales, de favoriser l’apprentissage sur les besoins de la communauté et d’accroître les capacités des programmes en faveur du vieillir chez soi.

Soutien par de l’encadrement

Pour favoriser la pérennisation, le programme FSSM a adopté une approche de mise en retrait, consistant à guider les communautés depuis les coulisses après la mise en œuvre initiale. Cette pratique a permis aux cocréatrices et cocréateurs de ressentir de la fierté vis-à-vis du programme et de se l’approprier. Les méthodes utilisées comprenaient des « ateliers d’accompagnement » mensuels, dans le cadre desquels le personnel expérimenté du programme FSSM se réunissait pour apporter un soutien téléphonique aux foyers de soins mettant en œuvre le programme. Ces ateliers avaient pour but de répondre aux questions, d’entretenir les relations et de mettre en pratique le principe au cœur du programme, c’est-à-dire une approche ouverte et non interventionniste qui place la responsabilité entre les mains de la communauté.

Cette approche d’encadrement engagé a mis l’accent sur le maintien de l’élan de départ en dotant les foyers de soins des outils nécessaires à leur réussite et en leur permettant de les adapter à leur manière. Par exemple, un foyer de soins peut entreprendre une activité unique, et certains outils et conseils peuvent parfois être adaptés d’une communauté à l’autre. Les foyers de soins peuvent donc œuvrer au sein du programme FSSM à leur manière, selon leur propre contexte. Les fondements du programme FSSM, à savoir l’empathie, la compassion et le désir authentique d’œuvrer pour le bien des personnes aînées au sein de la communauté, ont finalement permis aux foyers de soins de servir de centres communautaires, tout en adhérant aux principes d’un foyer de soins sans mur.

Le lancement du programme FSSM, ancré dans la communauté, a été judicieusement associé à une vaste connaissance des relations systémiques, ce qui a permis au programme de maintenir son élan grâce au financement. Par ailleurs, les connaissances en matière de politiques, d’infrastructures et de systèmes, issues de l’expertise de Suzanne Dupuis-Blanchard en financement de la recherche, ont joué un rôle clé dans l’essor du programme et dans la sensibilisation aux besoins de la population.

Conclusion

Les leaders attribuent l’efficacité du programme à l’empathie, résumée par le principe « des personnes bienveillantes qui prennent soin d’autrui ». Le succès du programme FSSM en matière de mobilisation découle notamment d’un engagement inébranlable envers la cocréation et de sa capacité à transformer les foyers de soins en centres de soins communautaires pour les personnes aînées. En mobilisant la communauté, les foyers de soins locaux ont élargi leur champ d’action, et fourni des soins de santé, des services sociaux ainsi que des services d’aide à l’orientation directement au domicile des personnes aînées.

La stratégie du programme FSSM était fondée sur les atouts existants de la communauté, notamment les réseaux relationnels, les leaders respectés et les espaces de rassemblement et d’échanges. En mettant à profit ces structures, les foyers de soins ont défini, mis en œuvre et pérennisé les objectifs du vieillir chez soi, retardant ou évitant ainsi le placement en résidence pour personnes aînées – le tout en partenariat avec la communauté. Le potentiel du programme ne réside pas dans ce qu’il peut faire pour la communauté, mais dans la capacité de création qu’il lui donne. L’engagement communautaire du programme FSSM illustre aussi le pouvoir transformateur de l’empathie et de l’engagement en faveur de la cocréation et de l’autonomisation.

Dès le départ, le programme a misé sur la création et l’échange plutôt que sur la recherche de réponses prédéterminées ou l’application de plans rigides. Pour s’investir dans la cocréation, il est important de reconnaître le caractère unique de chaque communauté et des diverses parties prenantes impliquées dans les soins aux personnes aînées. Le programme FSSM a adopté l’approche de la table rase; se fiant à l’idée que les communautés sont les mieux placées pour connaître leurs besoins, il a permis des collaborations adaptables et diversifiées.

La réussite du programme FSSM est profondément ancrée dans ses fondements, à savoir la confiance et le respect mutuel. En s’adaptant aux besoins de la communauté plutôt qu’en exigeant d’elle qu’elle se conforme, il a créé un terrain propice à une mobilisation durable. Le programme FSSM crée un environnement où les membres de la communauté se sentent en sécurité pour se rencontrer, échanger et participer activement. Plus important encore, il cultive une valeur bidirectionnelle : les foyers de soins deviennent des centres qui ne font pas intervenir seulement le personnel et les résidentes et résidents, mais aussi la famille, les bénévoles, les éventuels futurs résidents et résidentes et les personnes aînées à domicile. En embrassant la diversité des personnes au sein de chaque communauté, le programme FSSM est lui-même devenu une partie intégrante de la communauté, et non plus un simple atout.

Le principal enseignement à tirer du modèle de mobilisation du programme FSSM est que la création d’une valeur et d’une appropriation communes favorise la mise en place d’un programme à grande échelle, centré sur la communauté. Le programme FSSM montre que le potentiel ne se crée pas, il existe déjà; il suffit d’écouter, pas seulement pour entendre, mais pour vraiment comprendre.