Par Lori Davis Hill
Juin est le Mois national de l’histoire autochtone. Pendant cette période, nous encourageons tout le monde à découvrir et à reconnaître non seulement l’histoire, mais aussi la diversité, la créativité et la résilience des Autochtones (Premières Nations, Inuits et Métis) dans le Canada d’aujourd’hui. On a souvent tendance à concevoir ces communautés comme un seul groupe homogène, ce qui est bien loin de la vérité!
Les peuples autochtones au Canada ont tous des expériences qui leur sont propres ainsi que des cultures, des communautés et des langues distinctes. Ils sont les premiers à avoir habité le pays, d’un océan à l’autre. On nous oublie souvent, mais nous avons joué un rôle important dans l’histoire du pays, et nous sommes toujours là.
La langue est directement liée à la santé et au bien-être
En tant qu’orthophoniste autochtone et prestataire de soins de santé, je promeus la communication comme moyen de tisser des liens entre une personne et sa famille, ses proches aidants et sa communauté. Le but du langage est d’échanger des réflexions et des informations, soit, par essence, de communiquer. Les langues autochtones jouent également un rôle crucial comme vecteur dans les cérémonies et les enseignements traditionnels.
Dans le cadre de mes fonctions d’orthophoniste, j’ai pu constater pleinement les différences entre les langues autochtones et les langues officielles (l’anglais et le français). Nous pensons dans les langues que nous connaissons et utilisons. Mais il faut comprendre aussi que les Premières Nations, les Inuits et les Métis n’emploient pas ou ne comprennent pas toujours l’anglais de la même façon que les anglophones non autochtones.
La langue est essentielle pour l’identité, la santé et la spiritualité. Des chercheurs autochtones affirment que la langue et la culture sont liées à la santé et au bien-être des peuples autochtones aux quatre coins du globe. D’ailleurs, les langues autochtones sont maintenant reconnues comme un facteur de protection contre le suicide ou les résultats cliniques insatisfaisants. Dans les communautés où les langues sont vivantes et utilisées, les gens sont plus près de leurs savoirs culturels et plus proches les uns des autres. De plus, Malcolm King et ses collaborateurs ont décrit la revitalisation de la langue comme une stratégie de promotion de la santé dans les communautés autochtones.
De vaillants efforts sont déployés dans tout le pays pour maintenir nos langues en vie. Beaucoup de communautés proposent des cours et des écoles pour aider leurs membres à s’approprier leur langue ancestrale. Les initiatives vont des cours du soir aux ateliers d’immersion intensifs pour les enfants comme pour les adultes.
Les pensionnats et leurs politiques conçues pour l’assimilation
Les pensionnats étaient des internats pour les enfants et les jeunes des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Ces écoles s’imbriquaient dans une politique coloniale destinée à éliminer l’influence de la famille, des traditions, de la langue et de la culture dans l’optique d’assimiler la jeunesse autochtone à la société canadienne. Elles étaient financées par le gouvernement fédéral, mais gérées et supervisées par différentes institutions chrétiennes. Les enfants étaient séparés de leur famille et de leur communauté, souvent par la force, et allaient vivre et étudier au pensionnat la majeure partie de l’année.
En général, les pensionnats étaient situés loin des communautés d’appartenance des élèves pour réduire les contacts. Ils sont restés une réalité pendant plus d’un siècle, et de nombreuses générations d’enfants et de familles de ces mêmes communautés ont subi cette épreuve aux graves répercussions.
Pour nombre de familles et de communautés autochtones, ces politiques coloniales ont interféré avec la transmission intergénérationnelle de la langue. Nos parents et grands-parents recevaient des punitions sévères quand ils parlaient une autre langue que l’anglais au pensionnat. Par conséquent, dans un effort pour protéger leurs enfants des mêmes risques, ils étaient réticents à leur enseigner leurs langues, ce qui a rompu la transmission intergénérationnelle.
Les connaissances autochtones sont intégrées dans nos langues
Les cultures autochtones sont intégrées dans les langues de chaque nation. On estime qu’avant le premier contact avec les colonisateurs, il existait plus de 450 langues et dialectes parlés par les peuples autochtones sur les terres du Canada d’aujourd’hui. Les langues autochtones sont celles originaires d’une région où les gens partagent une même culture. Elles n’ont donc pas été introduites par la colonisation.
Les peuples autochtones du monde entier considèrent leurs langues comme des cadeaux de leur entité créatrice. Les langues autochtones reflètent et expriment la vision du monde de chaque nation. Elles comprennent des mots qui lient le peuple à la terre et chaque personne à la communauté.
L’aîné mohawk Tom Porter a transmis un exemple récemment de la façon dont la langue mohawk est relationnelle. Le mot que l’on apprend aux enfants pour désigner la « chaise » à l’école signifie à peu près « reposer mon corps sur cet objet »; le sens des composantes du mot est donc tiré de l’action de s’asseoir. Bien qu’il désigne une chaise, ce même terme s’utilise pour une personne qui s’assoit sur un banc, sur une bûche ou sur un lit. Le contexte change, mais l’action reste la même. C’est un reflet de la vision relationnelle du monde qu’on retrouve chez les peuples autochtones, où toutes les créations sont collectives et liées entre elles.
Nombre de langues autochtones font des distinctions qu’on ne retrouve pas dans les langues comme l’anglais ou le français (officiellement en usage au Canada). En effet, elles utilisent souvent un verbe ou une action et sont polysyllabiques par nature; un mot peut alors refléter les relations entre les objets ou les gens et leur environnement.
Le risque touchant les langues autochtones
Quand une langue n’est plus parlée, de précieux savoirs autochtones se perdent.
Sur environ 7 000 langues connues et parlées dans le monde, il y a de fortes chances que 50 à 90 % d’entre elles se feront muettes d’ici la fin du siècle. Cette extinction touchera en majorité des langues autochtones. En 2016, Statistique Canada a estimé qu’il restait moins de 70 langues autochtones issues de 12 familles linguistiques, et on suppose que seules trois d’entre elles subsisteront en tant que langues vivantes transmises d’une génération à l’autre.
« Le gouvernement a passé tant de temps à essayer d’exterminer nos langues et nos cultures. Il est important de prendre le temps de les réaffirmer pour en faire les fondations de l’avenir. »
Juge Murray Sinclair, Toronto Star, 7 déc. 2015.
Revitaliser les langues autochtones
Les langues autochtones concourent à l’identité unique et au bien-être général des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Malgré la disparition rapide des locuteurs natifs, la revitalisation de ces langues est maintenant une priorité au pays. Les langues et les cultures autochtones sont des facteurs de protection face aux inégalités en santé. En ce sens, la préservation de nos langues favorise l’équité en matière de santé chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Depuis 1993, le 31 mars est reconnu comme la Journée nationale des langues autochtones au Canada. C’est l’occasion de reconnaître la diversité des langues autochtones, de sensibiliser les gens sur leur disparition et de soutenir les initiatives nécessaires pour se les réapproprier, les protéger et les revitaliser.
En 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). L’article 13 appuie le droit des peuples autochtones « de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature » et souligne que ce droit est protégé dans les États membres. Il a pourtant été systématiquement et intentionnellement bafoué pour les locuteurs des langues autochtones du monde entier, et n’est pas remis en cause pour les locuteurs des langues dominantes.
L’histoire et les conséquences intergénérationnelles des pensionnats ont été exposées dans le cadre des efforts de la Commission de vérité et réconciliation du Canada en 2015, quand des survivants du système ont été encouragés à raconter leurs histoires. Il en a découlé , et le Canada s’est engagé à réparer le lien qu’il entretient avec les peuples autochtones. Les appels à l’action 13 à 17 portent sur la langue et la culture.
En 2019, le Canada a approuvé la Loi sur les langues autochtones et, le 21 juin 2021, il a promulgué une loi pour mettre en vigueur la Déclaration. Par ces actions, le pays s’est alors engagé à prendre des mesures pour préserver, promouvoir et revitaliser les langues autochtones au Canada, ce qui renforce la nécessité de faire en sorte que toutes les personnes au pays reconnaissent les langues autochtones locales et soutiennent ces efforts.
Pour saluer les efforts mondiaux de réappropriation et de revitalisation, la décennie 2022-2032 a été déclarée celle des langues autochtones. On met ainsi en lumière le besoin urgent de préserver les langues et les cultures autochtones.
Que pouvons-nous faire?
Pour soutenir les Premières Nations, les Inuits et les Métis dans la réappropriation, le réapprentissage et la revitalisation de leurs langues et de leurs cultures, nous devons tous être enclins à leur laisser la liberté d’y parvenir. Pour les prestataires de soins de santé, cela signifie en partie de créer un espace sécuritaire sur le plan culturel pour ces communautés dans l’environnement de soins de santé. Nous pouvons commencer par :
- reconnaître les Autochtones et les peuples natifs de ces terres où nous vivons, travaillons et jouons;
- apprendre les noms que les nations autochtones utilisent pour se désigner et s’assurer de les prononcer correctement, surtout pendant une déclaration de reconnaissance du territoire;
- ajouter, dans toute déclaration de reconnaissance du territoire, notre propre contribution à l’apprentissage et aux actions concernant l’équité en matière de santé chez les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Lori Davis Hill fait partie de clan du Loup des Oneidas de Six Nations de la rivière Grand. Orthophoniste depuis plus de 20 ans, elle est actuellement directrice générale par intérim de l’Indigenous Health Learning Lodge de l’Université McMaster et termine son doctorat en sciences sociales à l’Université Royal Roads.